Pharmacocinétique
Il existe une probable modification des concentrations d’hypnotiques par les morphiniques.

Elle serait liée au passage pulmonaire du propofol qui entraine une séquestration puis un relargage secondaire d’environ 30% du bolus initial avant d’être redistribué dans la circulation : le pic plasmatique est retardé. Mais ce processus est saturable, et lors de l’association de morphiniques, eux aussi subissent ce passage pulmonaire. Une modification du degré de captation des deux agents va avoir lieu. Le pic plasmatique sera alors plus élevé et précoce entrainant un effet pharmacologique plus rapide et important (la quantité d’agent transféré au niveau du site d’action dépendant de la différence de concentration entre le sang et le site d’action, en allant du milieu le plus concentré au moins concentré).
Ce processus a été démontré avec le fentanyl mais pas avec les autres morphiniques. Toutefois, la captation pulmonaire dépendant de la liposolubilité, on peut penser que cette interférence est aussi significative avec le sufentanil et moindre avec l’alfentanil et le remifentanil.
Conséquences sur la pratique clinique des interactions morphiniques/hypnotiques
Les interactions décrites ci-dessous seront constituées des interactions pharmacodynamiques, prédominantes.
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- Lors de l’induction :
On pourrait penser qu’associer au propofol un morphinique permettrait de diminuer la dose de l’hypnotique (et d’avoir moins de répercussions hémodynamiques) pour assurer la perte de connaissance. En fait, il n’en est rien. Les effets de l’hypnotique et du morphinique ne font au mieux que s’ajouter et l’ajout du morphinique ne permet pas de diminuer de façon conséquente la dose d’hypnotique nécessaire.
De plus, l’association du morphinique au moment de l’induction avec du propofol majore la chute tensionnelle : les effets hypotenseurs des morphiniques et des hypnotiques peuvent ainsi être synergiques.
L'association d'un morphinique à l'hypnotique lors de l'induction de l'anesthésie doit donc être faite de telle sorte que le morphinique soit efficace au moment du geste stimulant, par exemple l'intubation, mais pas forcément avant. -
- Lors de stimuli adrénergiques :
Le contrôle des réactions adrénergiques aux stimuli douloureux peropératoires est effectué de manière plus efficace en associant un morphinique avec un hypnotique (et peu importe les morphiniques et hypnotiques choisis) que lorsque l’hypnotique est utilisé seul. L’association du morphinique et de l’hypnotique lors des actes stimulants est très synergique, d’autant plus sur le contrôle hémodynamique que sur la réponse motrice.
Dans le cadre de l’intubation, cette administration sera synchronisée avec celle des hypnotiques pour atteindre le pic d’action au moment de la laryngoscopie.
- - Pour le sufentanil, au moins 5 à 6 minutes sont nécessaires
- - Pour le rémifentanil, 1,5 minutes suffisent.
Lors de l’incision cutanée, des études ont permis de démontrer que les interactions hypnotiques/morphiniques étaient les mêmes et ce, quelles que soit les molécules choisies. L’adjonction de morphiniques permet de diminuer de façon majeure les besoins en hypnotiques.Interaction hypnotique/morphinique lors de l'incision cutanée. Ensemble de couples équipotents pour obtenir l'absence de mouvements chez 50 % des patients.
Plusieurs stratégies thérapeutiques efficaces peuvent ainsi être mises en œuvre :- - utiliser l’hypnotique à haute concentration + le morphinique à basse concentration (courbe A)
- - utiliser l’hypnotique + le morphinique à concentration moyenne
- - utiliser l’hypnotique à basse concentration + le morphinique à haute concentration (courbe B)
Mais en général, on privilégie la variation de concentration du produit qui agit le plus rapidement pour obtenir au plus vite l’adéquation stimulus/anesthésie-analgésie.Courbes représentant des ensembles de couples équipotents pour la réactivité motrice à l'incision cutanée.
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- Au réveil anesthésique :
A l’arrêt de l’administration d’un agent anesthésique, sa concentration dans le sang décroit à une vitesse qui dépend de la pharmacocinétique.
Le temps de décroissance est le paramètre le plus important dans la gestion de l’AIVOC et l’accumulation de certains agents, notamment avec des durées de perfusion longues augmente. Il signifie de façon triviale : « si on interrompait la perfusion à cet instant ».Les logiciels d’AIVOC permettent à tout moment de le visualiser et ce, en fonction de la pharmacocinétique du produit, de l’historique de la perfusion et de la concentration choisie par l’anesthésiste comme correspondant à la fin de l’effet. Mais ces données ne prennent pas en compte les interactions avec les morphiniques. Or, à la fin d’une intervention chirurgicale, si un morphinique différent du rémifentanil a été utilisé, des concentrations significatives peuvent persister. Une concentration résiduelle de sufentanil par exemple, peut augmenter grandement le temps d’ouverture des yeux. Le réveil ne sera donc obtenu qu’après la décroissance des concentrations à la fois hypnotiques et morphiniques, jusqu'à une interaction permettant l’ouverture des yeux.
Afin d’obtenir le réveil le plus rapide possible, il s’agit de privilégier l’association où la concentration de l’agent éliminé le plus vite est la plus élevée. Ainsi, en fonction de la pharmacocinétique des agents, il est possible de déterminer le couple de concentrations hypnotique/morphinique le plus efficace pendant l’intervention et qui permettra un réveil le plus rapide.
En résumé :
Les interactions morphiniques/hypnotiques modifient profondément les concentrations efficaces au cours de l’anesthésie. Elles peuvent être résumées avec la courbe ci-dessous.
Elles n’impactent que très peu la perte connaissance et ne diminuent pas la concentration d’hypnotique nécessaire (cf. courbe MAC). Il est donc essentiel, pour éviter tous phénomènes de mémorisation peropératoire, de ne pas diminuer la concentration de l’hypnotique en dessous de la concentration de réveil.
- Elles sont très importantes lors de stimuli adrénergiques et permettent de diminuer jusqu'à un effet plafond la dose des hypnotiques (MAC-BAR).
- Au réveil, les concentrations diminuent lentement en fonction de l’élimination des deux molécules jusqu'à l’obtention d’une synergie correspondant à la phase de réveil ; le produit dont l’élimination est la plus rapide doit être privilégié (MAC awake).
Au-delà de ses interactions, l’adjonction d’une prémédication, de protoxyde d’azote, de kétamine ne sont pas à négliger et diminuent d’autant plus les besoins en morphiniques (courbe MAC-BAR in N2O).

Réduction de la MAC, de la MAC-BAR et de la MAC-awake du sévoflurane lorsqu'on augmente les concentrations de fentanyl.Ce schéma serait similaire en mettant en relation propofol et sufentanil.